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Chemins III (note de l'auteur)

Rien de ce que l’on fait n’est jamais fini. Même l’œuvre « achevée » est le rituel et le commentaire d’une œuvre qui l’a précédée et d’une autre qui va le suivre. La question ne provoque pas de-réponse, mais plutôt un commentaire et une autre question…
La série de mes Chemins (pour harpe et orchestre, pour alto et neuf instruments, pour alto, neuf instruments et orchestre) peut être considérée comme une suite de commentaires spécifiques qui comprennent presque intégralement l’objet et le sujet du commentaire. Ce que l’on peut dire de Chemins II par rapport à la Sequenza VI pour alto est applicable, plus développé encore, à Chemins III. Cette œuvre n’est pas une simple métamorphose orchestrale de Chemins II, ni le transfert d’un « objet trouvé » dans un contexte nouveau, mais c’est plutôt une nouvelle lecture des caractéristiques structurelles inhérentes aux morceaux antérieurs (Sequenza VI et Chemins II). Dans Chemins III, le texte de base e son commentaire son intimement mêlés dans un échange permanent d’éléments. L’un comporte l’autre, comme une figure, un dessin, un modèle porte ses couleurs et ses ombres… comme toute chose que nous faisons révèle une autre chose, dans une prolifération de chemins qui se réfèrent inévitablement à d’autres chemins, comme chacun de nous ramifie son sort dans un tissu de troncs, de branches et de rameaux de plus en plus subtils. Et nous sommes ici, au bout de la subdivision du plus mince de ces rameaux et nous regardons ces lignes du sens qui tout à l’heure bourgeonnaient encore ; on ne peut les suivre qu’en revenant en arrière ou quelquefois en allant de l’avant, puisqu’elles continuent à propager leurs trois millions de ramifications dans trois millions de chemins différent, avec la certitude qu’à peine douze d’entre elles conduiront ailleurs qu’à de nouveaux croisements sur de nouveaux chemins.
Chemins III a été commandée par Walter Trampler et terminée en octobre 1968. Elle est donnée ce soir en création mondiale.

Luciano Berio
«La Revue Musicale», 1968.